Skip to main content

Etienne Kolly raconte son Trail du Salève

By mai 26, 2008juin 17th, 2021Courir ...

Pour une fois, je cède la plume à Etienne pour le récit de sa magnifique course.

Non content d’être un super copain, toujours enthousiaste et de bonne humeur, il possède la plus belle foulée que je connaisse, alors si vous le voyez passer, ne manquez pas le plaisir de son style aérien et inimitable.

Merci Etienne de partager ta course avec nous et de rejoindre la grande famille « des jaunes ».

Carole

Trail du Salève 2008 – Etienne Kolly

L’idée lumineuse de l’année 2008 était d’axer ma saison de sport sur les courses de montagne… Ce matin du 11 mai 2008 je suis gâté ; un parcours de 38km m’attend, avec presque 2,000m de dénivelé positif, autant en négatif, une grande ballade par monts et par vaux sur la plus belle montagne genevoise (heu… sur la plus belle montagne des Genevois !!) : le Trail du Salève 2008 est sur le point de débuter !

Je ne suis pas à ma première course de montagne ; je n’ai pas seulement chanté les sentiers valaisans mais aussi foulé leurs pentes abruptes du côté de Sierre-Zinal, de Thyon-Dixence, arpenté les Préalpes au Moléson, au Stockhorn, ou autour de la Clusaz… Mais le Salève reste le Salève, pour un Genevois de cœur c’est un terrain de jeu privilégié… Moral au beau fixe et forme presque olympique ce dimanche matin, comme la météo qui est restée clémente depuis plusieurs jours maintenant. Le terrain sera sec, la vue sur les Alpes imprenable… reste plus qu’à courir, et se faire plaisir J

Fini les complexes de l’amateur passionné que je suis face aux athlètes confirmés, à l’équipement high-tech, qui se remémorent d’ailleurs leurs exploits du dernier UTMB (Ultra-Trail du Mont-Blanc, 163km, 8900m dén, rien que ça) ; je me place donc presque sous la banderole de départ, sautillant nerveusement, impatient d’entendre le coup de pistolet. Pour l’occasion le coup de feu se transforme en coup de cloche de vache, sonné par Monsieur le Maire de Beaumont, village d’accueil pour le départ de ce Trail. Le décor est planté, l’ambiance sera bon-enfant, champêtre et solidaire.

S’élancer dans un Trail est une aventure, un partage avec les compagnons de course et de souffrance. C’est une introspection aussi, dans les longues heures d’effort, finalement seul face à soi-même, à ses limites, ses doutes et ses joies, face à la nature. Contrairement à un marathon où l’une des clés de réussite est la régularité tel un métronome, ici le chrono est presque secondaire. Difficile en effet de tenir une allure au kilomètre quand le dénivelé se fait sentir. J’ai pris pour habitude de plutôt écouter mon corps, de tenter de gérer mes ressources au mieux avec toujours l’idée d’en « garder un peu sous la basket » car je sais bien que tout abus ou excès de zèle au début pourrait se payer cash sur la seconde moitié du parcours, encore terriblement exigeante.

Eienne.jpg

La croisette

Ca y est il est 8h00, je m’élance parmi quelques 190 coureurs et coureuses, à l’assaut du Salève, heureux comme un gamin, tout ému par les applaudissements et encouragements épars mais sincères des quidams, habitants de Beaumont privés de leur grâce matinée dominicale. Après 200m de course, un trio se détache déjà, dont le premier coureur semble être clairement venu pour la gagne… rythme impressionnant ! Je me situe alors dans les 25 premiers sur le faux plat ascendant et toujours goudronné qui nous éloignent de Beaumont. Ca discute un peu, ça rigole aussi entre coureurs, sans doute une façon d’évacuer la tension nerveuse qui nous anime, cette émotion si pleine qui nous fait vibrer, nous renforce et nous fait prendre conscience du moment unique que l’on vit… « je suis ici et maintenant, heureux et privilégié… mais un peu fou quand même !! » Et j’adore ça !

Première montée à la ferme de la Thuile, par un sentier assez roulant. Deux styles s’opposent déjà : il y a les coureurs, même à la montée, et les marcheurs rapides, dont je fais partie. Chacun son style, mais pourtant la même allure. Coup d’œil rapide en arrière pour admirer le bassin genevois et ses champs de colza, ses pâturages et autres forêts, comme un immense patchwork qui drape la campagne.

Et les kilomètres défilent maintenant sur les crêtes du Salève, à travers champs et sur sentiers forestiers, pour rejoindre bientôt le Grand Piton et sa Tour Bastian, sommet du Mont-Salève (1372m), et donc point culminant du Trail aujourd’hui. Note historique : saviez-vous que Lamartine et Lord Byron aimaient à se retrouver ici-même pour chercher l’inspiration de leur poésie ? Je les comprends aisément… Si vous prêtez attention, vous trouverez même leurs noms gravés sur une des dalles calcaires qui forme le lapiaz sommital, juste à côté de la Tour… Bref, revenons à nos moutons, j’étais il y a quelques jours encore en repérage sur cette partie du parcours et mon chrono indique aujourd’hui 1h00 pile. Je cours donc à peu de chose prêt selon mes plans, même un peu en avance sur le programme. J’en profite alors pour me ravitailler de mon mélange eau/iso et d’une demi barre énergétique. Voilà une nouveauté pour moi sur ce genre de Trail, c’est la semi-autonomie en termes de ravitaillement. D’habitude les courses de montagne que je fréquente proposent une série de postes fixes tout au long du parcours mais ici nous aurons droit qu’à un seul ravitaillement solide et liquide situé à la mi-course. Je pense donc à avaler régulièrement (chaque demi-heure) un peu de sucre sous forme de gel ou en barre, accompagné de liquide pour faire passer… (« comme ça, ton cerveau a l’info que tu ne le laisses pas tomber, et comme ça il ne te laissera pas tomber lui non plus » qu’il disait notre coach Olivier de chez Perform. Je trouve l’image assez parlante, car au bout d’un certain nombre d’heures d’effort, c’est le cerveau qui dirige ou qui peut saper une performance…

Nous sommes à peine au 10ème kilomètre de course, et à vue de nez (je sais de quoi je parle… J), je me situe dans les 15 premiers coureurs ; je double encore quelques concurrents quand il s’agit d’allonger la foulée sur les faux plats descendant des crêtes rejoignant la Croisette. Je me sens même pousser des ailes car je sais qu’un petit clan familial sera là pour donner de la voix… Ah quel réconfort… « Happiness is only real when shared » C’est vrai, quel bonheur de partager sa joie intense, sa passion simple mais vraie, avec ceux qu’on aime ; quel soutien précieux que ces quelques cris et sourires, ces mains qui claquent ; et quelle fierté de voir mon fils haut comme trois pommes (trois pommes et demi en fait, bientôt quatre) me suivre sur 100m, tout sourire et les yeux pétillant d’énergie… La veille il était tout déçu quand je lui expliquais qu’il ne pourrait me voir « que » quatre fois sur le parcours… « Je veux courir avec toi toute la course avec toi, papa » disait-il naïvement. Comme c’est touchant un enfant plein de rêves…

Orjebet

La Croisette passée, nous plongeons maintenant versant Sud jusqu’au hameau bien nommé « La Joie ». Ici c’est l’entame de la deuxième longue montée qui nous ramènera, par la ferme Gaby d’abord, sur le haut du sentier d’Orjebet. Ravitaillement autonome une fois encore, et toujours quelques concurrents qui suivent de près… tellement près que leur souffle qui se rapproche m’annonce que je perds mon rythme… et je le sais bien ; je le sens bien aussi. Des crampes apparaissent aux mollets et aux muscles intérieurs des cuisses. Je réalise à cet instant que je commence à payer mon rythme un peu optimiste du début de course et mon manque d’entrainement spécifique montagne cette année … Pas de miracle…Tant pis je ralentis, je bois encore jusqu’à ma dernière goutte de liquide, et en profite pour taper la causette avec un coureur qui m’a rattrapé (faut bien essayer de fatiguer les concurrents, ça s’appelle de la stratégie indirecte). J’apprends alors que ce sympathique coureur avec qui je cause est aussi un cycliste (tout de même 1h07 à la Course du Duc, donc coureur plutôt efficace quand même…), et qu’il n’est pas en grande forme aujourd’hui, encore un peu fatigué de ses 140km à vélo de la veille !! Y’a définitivement des grands malades sur ce Trail… Je le laisse donc s’échapper tranquillement ; une décision finalement plutôt sage si je veux finir la course sur mes deux jambes.

Le haut d’Orjebet et son ravitaillement sont là. Déjà près de 24km de course. A nouveau quelques visages connus, amis et famille réunis, venus immortaliser l’instant. Merci encore à eux !! On rigole un peu, on tente de se recharger les batteries, on remplit la gourde en tout cas et …. On repart ! Il reste encore 15km dont une montée impressionnante et deux descentes méchantes. Va falloir tenir, tout en gérant les crampes qui menacent… Le sentier d’Orjebet plonge maintenant, avec sa grotte et ses escaliers, ses virages serrés et autres pièges… On est tout un petit groupe à se suivre, au même rythme mais je tente de rester bien concentré…. Je crains de me fouler une cheville comme j’ai fait déjà deux fois en un mois. Bref, tout va bien jusqu’au parking du Coin, pied du sentier d’Orjebet, avalé en un bon quart d’heure.

Ici le changement de rythme et de revêtement (goudron pour quelques hectomètres) réveille ces douleurs tant redoutées pour le coureur, ce gâche-plaisir si frustrant quand le souffle et la tête aimeraient avancer : les crampes me font réellement souffrir et je dois marcher un peu, si je ne veux pas rester sur place. Quelques mots d’encouragement par un ou deux compagnons d’aventure, mais le moment est difficile … Je me résigne à ne pas penser à la place et aux coureurs qui me doublent, mais juste à ma course … Continuer et terminer ce Trail, sur mes deux jambes… « Je peux le faire » ; là c’est le cerveau qui prend le relai des muscles endoloris. Je connais cette sensation d’être au bout, mais je sais aussi que ça n’est pas le bout, c’est que le début de la vraie aventure, celle qui distingue une course plutôt traditionnelle d’un défi comme celui que j’ai décidé de relever aujourd’hui. Il y a si peu d’occasion de pousser ses limites comme ça, de ressentir ça. Que je sois en ski de rando, en crampons encordé, ou en baskets, seul le sport en montagne m’apporte ce genre d’instant… si unique, si vivant…

Dernière montée

La dernière réjouissance est là : la montée de la Grande Gorge, après 30km de course. L’idée est de caler mon rythme et d’attendre que ça passe, 600m et 45min plus haut. En route je croise quelques promeneurs, une ou deux familles courageuses et …trois américaines délicieuses… de quoi alléger la douleur et rendre ce combat moins rude, l’espace d’un instant. Je remercie chaleureusement un groupe qui applaudit, là au milieu de nulle part, dans une des sections les plus exigeantes de l’épreuve ; quel soutien précieux, j’en ai encore la chair de poule… Oui oui je suis un grand émotif, j’avoue… Le sommet de la Grande Gorge apparaît enfin, et à nouveau le flash crépite et les encouragements d’amis sont les bienvenus. A cet instant j’aurais pu signer sans réfléchir une pétition pour l’érosion accélérée ou le dynamitage du Salève… histoire de le rendre parfaitement plat !!! Ravitaillement perso bien mérité, et on prie pour que les crampes ne soient pas trop pénibles… Prière vaine, mais peut-être que sans ça je n’aurais même pas pu continuer. Donc je me concentre, je profite encore de la présence de la famille pour me recharger les batteries, morales tout au plus, mais essentielles.

Etienne2.jpg

Toujours un peu d’avance sur mon planning donc je suis en confiance, il ne reste maintenant plus qu’à resserrer les baskets, se concentrer sur les chevilles, et entamer l’ultime descente par l’Observatoire, la gare supérieure du Téléphérique, le village de Monnetier, le Pas de l’Echelle, pour rejoindre le pied du Salève… Sacré Salève ! Les crampes me contraignent toujours à garder un rythme sage durant cette descente, et tout se passe plutôt bien. Soulagement en courant sur le pont qui enjambe l’autoroute et me rapproche sérieusement de l’arrivée. Là encore un moment clé dans ce genre de grande course. Je me visualise parfaitement dans le fond du Val d’Anniviers, quand on débarque dans le village de Zinal après une descente vertigineuse depuis les alpages. La foule est présente, le cerveau déconnecte et c’est généralement là que je suis pris de méchantes crampes. Donc ici au pied du Salève, la foule n’est pas aussi dense, l’arrivée n’est pas aussi proche, donc je dois ne pas craquer maintenant. C’est dur, car franchement j’en ai plein les jambes, vivement cette banderole finale…

L’arrivée

Un petit détour encore dans le village du Pas de l’Echelle pour finir en beauté, je distingue le concurrent qui me précède, mais impossible de le rattraper. Je jette un œil rapide en arrière et mon poursuivant est là, presque sur moi… Non, il ne passera pas, je donne mes dernières forces, le petit coup de fierté pour ne pas être doublé sur la ligne. Dernier virage, dernières foulées, derniers mètres et c’est la délivrance, la fin de l’effort, la réalisation d’un petit rêve. Je l’ai fait… Ce matin j’étais à l’autre extrémité du Salève ; depuis, je l’ai gravi presque trois fois, je l’ai traversé de tout son long, maintenant je suis ici, toujours sur mes deux jambes ; remplis de joie … mais vidé !! Fier aussi d’avoir revêtu ce maillot jaune de l’association « Courir … Ensemble » pour la première fois, et tenter de lui donner une visibilité et un soutien à ma façon.

Y’a pas foule dans l’aire d’arrivée, on y voit le staff, l’animateur qui prend la peine de citer les concurrents à leur arrivée, quelques sponsors et leur stand … et une brochette de zombies aux traits marqués, allongés les jambes en l’air, ou assis la tête dans les mains, passifs, le regard dans le vide mais heureux… On se félicite, on se raconte notre aventure, on debriefe, on se remercie des coups de pouces pendant nos coups de barres respectifs… Je finis donc 17ème au général et 7ème dans ma catégorie, en 4h16 pour ces 38km, 1900m+ et 2200m-. Il me faudra quelques jours de récupération bien mérités, mais je suis certain de déjà me réjouir du prochain défi… plus long, plus haut, plus fou…