Je vous écris depuis le bus qui nous amène au départ.
Réveil à 4h40. Bon, on n’a pas encore complètement digéré le décalage horaire, donc ça va.
C’est davantage le régime alimentaire bizarre suivi depuis 3 jours qui pourrait poser problème. Hum hum, pas facile de manger correctement en mode prépa marathon au pays du « ready to eat »
Le temps est hyper chaud. On est en TS à 6h du matin. Ils annoncent 23° pour la course.
La vue sur le Manhattan bridge et l’East River au point du jour est incroyable.
Nous avons vécu une journée à nouveau extraordinaire hier, avec une expérience au 101eme étage de la tour « The Edge » d’où nous avions une vue à couper le souffle sur tout New-York, une visite de Soho et Greenwich Village (les quartiers « anciens » de NYC)
Pour finir la journée, nous avons eu la chance d’avoir un donateur qui nous a offert des places pour un match de NBA, à encourager les Knicks de NY contre les Celtics de Boston au Madison Square Garden.
Vivre un match de NBA au Madison Square Garden est une expérience à faire une fois dans sa vie.
Le show est permanent, avec parfois quelques moments de basket pour respirer un peu…
Nous sommes passés sur la cam centrale du Madison Square Garden, en pleine choré sur un set du DJ Lohrasp Kansara. Notre moment warholien…
Mais surtout, hier, nous avons ressenti un moment extrêmement fort, avec la 1ere course, la « dash to the finish line », celle pour laquelle nous étions tous inscrits, jeunes compris.
Les jeunes ont donné le meilleur d’eux-mêmes avec des temps entre 19 et 35 min sur 5 kilomètres.
Nous avons couru, vécu, vibré à l’unisson de nos protégés qui ont montré une nouvelle fois un courage exceptionnel
L’arrivée dans Central Park, sur la même ligne d’arrivée que celle qui va nous couronner (ou pas) aujourd’hui, était un grand moment.
Spoiler: l’arrivée est en pente… et les distances en miles + le GPS de la montre qui décroche au milieu des buildings, font qu’il est difficile de savoir où on en est.
Je pense pouvoir dire que la jeune fille de 15 ans que j’ai accompagnée s’en souviendra longtemps!
Nous arrivons sur le pont du Verrazzano avec notre bus.
C’est le lieu de départ du marathon, avec pour commencer une traversée de la baie de New York .
Le soleil rougeoyant est face à nous. Les tours de Manhattan sont au loin, dans la brume. Les dernières lumières s’éteignent une à une.
Nous voilà dans la peau des 1ers immigrants qui découvraient ce Havre de liberté que représentait cette baie.
Nous voici maintenant face à notre chemin de liberté.
The star spangled banner sera notre première impression sonore au départ
« O say can you see, by the dawn’s early light,
What so proudly we hailed at the twilight’s last gleaming,
Whose broad stripes and bright stars through the perilous fight,
O’er the ramparts we watched, were so gallantly streaming? »
« Ô dites-moi, voyez-vous aux premières lueurs de l’aube,
Ce que nous saluions si fièrement aux dernières lueurs du crépuscule,
Et dont les larges bandes et les étoiles brillantes, dans la bataille périlleuse,
Au-dessus des remparts que nous gardions, flottaient si vaillamment ? »
Nous y sommes… L’histoire commence dans un bus. Ce bus nous emmène vers la ligne de départ du marathon de New-York.
Oui, tu lis bien: du marathon de New York !!
Ce bus qui doit nous transporter vers quelque chose de grand, c’est normalement au moins un bus à impériale ou un bus Pullman super classe: On est à New York, quoi, dans ce qui s’enorgueillit d’être le plus grand marathon du monde.
En fait, non, là, c’est dans un vulgaire bus de ville, tout bête, que chaque coureur a trouvé sa place.
Ce bus va être une porte ouverte vers l’infini de l’incroyable.
Alors évidemment, je pourrais faire 3 lignes sur ce marathon: on est parti, c’était dur, il y avait du monde, on avait visé tel temps, on a fait tel autre temps on est contents / déçus- rayez la mention inutile. Fin du résumé, remballez vos chaussures.
Oui, mais je ne suis pas là pour vous raconter ça comme ça .
Voici mon secret. Il est très simple : on ne voit bien qu’avec le coeur. L’essentiel est invisible pour les yeux. Nos Petits Princes nous rappellent tous les jours ces principes.
Donc il est impossible de retracer en 3 lignes ce que nous avons vécu, vu toute la portée de ce « chemin de liberté » que nous avons parcouru.
Pour beaucoup d’entre nous, cette aventure au cœur de NYC se sera terminée dans une violente décharge d’émotions.
Bref, je reviens à notre bus.
Nous traversons le Pont de Verrazzano, et voyons les tours de Manhattan qui se dressent au fond de la baie, à l’entrée du port de NY.
J’en étais resté là, hier dans mon précédent récit.
Je ne savais pas que très vite, tout allait basculer dans l’irrationnel.
Le bus descend le pont, arrive aux contrôles de la sécurité.
Un policier du NYPD demande alors à notre chauffeur de bien vouloir prendre la file de gauche, alors que nous voyons très clairement tous les bus qui sont posés en file de droite et font descendre leurs coureurs.
En fait, hasard de circonstance, clin d’œil du destin?, il est indiqué sur notre bus qu’il transporte des coureurs en fauteuil, dont le départ n’est pas du tout au même endroit.
Nous savons bien le truc, car notre duo team en fauteuil est parti avec une toute autre organisation que nous, pour son départ de course, qui est en zone « green corral », alors que nous partons en zone « blue corral ».
Sauf que vu que nous avons prévu de nous retrouver avec notre fauteuil poussé dès que possible dans la course, nous avons un peu étudié le sujet avant: les 2 parcours ne se rejoignent qu’après le kilomètre 13.
Et chacun doit partir de la zone qui lui a été assignée.
Carole comprend vite le truc, ainsi qu’un certain nombre de coureuses présentes dans le bus.
« Stop, dont go »… mais notre chauffeur a des instructions, nous revoilà partis pour faire un tour sur Staten Island.
Au passage, nous pouvons voir les jolies maisons très résidentielles de ce quartier de New York à deux encablures de pont de l’entrée de Brooklyn.
Ce redémarrage du bus, c’est un peu la même chose que quand un avion atterrit, pose ses roues, et remet les gaz pour repartir…
Nous sommes dans l’effroi d’arriver très loin de notre départ.
C’est quand même dommage d’être obligés de faire des kilomètres avant le début d’un marathon.
Au bout d’un moment, nous rejoignons une file infinie de school bus jaunes, si typiques de l’Amérique du Nord, qui sont arrivés par un autre chemin que nous.
Ils vont tous sagement à l’école de l’humilité, l’école du marathon.
Bon, finalement, on apprend vite que nous aurons moins d’un semi-mile à marcher jusqu’à notre départ.
Rien de grave, tout rentre dans l’ordre.
Et finalement, c’est dans l’organisation Pullmann du marathon de NY que nous tombons.
Dès notre sortie du bus, des armées de « volunteer », tout sourires, nous souhaitent la bienvenue et nous renseignent.
Des policiers, moins souriants et armés vérifient notre bagage et notre dossard (seul un sac transparent à laisser sur place est autorisé) .
Dès l’arrivée sur le site du départ, la zone réservée au pipi de la peur (tradition d’avant course) est énorme.
Ça tombe bien, vu le nombre de bouteilles d’eau que nous avions emmenées dans le bus, ça va vite servir.
Il est environ 7h45. Notre départ est dans 2h. Nous pouvons nous poser.
Je dois avouer que j’appréhendais un peu cette attente inéluctable au départ.
L’imaginaire populaire et les récits d’anciens marathons nous avaient mis dans le crâne que l’attente se faisait sur le pont, qui est à double étage, et qu’il ne valait mieux pas se retrouver dans la zone du bas, de surcroit vers l’extérieur, si on ne voulait pas subir la délicate bruine de ceux du dessus qui extériorisaient leur peur…
Non, rien de tout ça. Nous sommes dans une zone boisée, avec une cour et un jardin. Nous avons posé une couverture de survie au sol, afin de passer un moment d’attente agréable, avant de rejoindre calmement la zone de départ.
Notre survie dépend-elle de ce moment, où est-ce une couverture sur laquelle nous allons laisser toutes nos peurs?
C’est là que la magie de l’organisation à l’américaine opère.
Nous avons à notre disposition des donuts, de l’eau, du café, du thé, de la boisson énergétique, et le tout, servi sans attente et dans la bonne humeur par nos volunteers.
Nous remercions nos héros de l’ordinaire, envoyés en mission pour rendre cet événement extraordinaire.
La tradition veut que pour éviter de prendre froid, chacun amène un vêtement chaud un peu ancien, qui sera récupéré et donné à des associations caritatives.
L’organisation a aussi pensé à notre confort et distribué généreusement des bonnets en polaire à chacun.
Bon, L’assemblage orange et rose des bonnets détonne un peu mais je me dis que ce serait très bien pour aller courir en forêt un jour d’ouverture de la chasse…
Je pensais là aussi que nous retrouverions sur le pont après la course une chaussée jonchée de tissus de toute sorte…
En fait, rien de tout ça.
On nous prévient au micro dans toutes les langues: après le départ, il ne sera pas possible ni d’uriner ni de laisser des vêtements sur le pont sous peine de disqualification.
Prière de prendre vos précautions avant, et de laisser les vêtements inutiles dans les grands bacs en carton destinés à cet effet.
Nous arrivons donc l’esprit et le corps libres dans la zone de départ.
Nous y sommes enfin, après tout ce temps!
Nous partons en vague 2, et sommes positionnés assez prêt de la ligne, que nous franchirons en moins de 30 secondes, ce qui est exceptionnel pour un événement à 50 000 personnes.
Eh oui, nous sommes 50 000 sur la ligne de départ, et la magie de cette organisation, avec ces zones de différentes couleurs et ces parcours différents qui se rejoignent au kilomètre 13, c’est que finalement, nous avons l’impression d’être presque dans une course de quartier organisée par nos voisins.
Bon, OK, je force un peu le trait, on voit bien que c’est un gros truc quand même.
La débauche hallucinante de plastique et de différents suremballages dans les poubelles au départ est là pour nous le rappeler.
D’un autre côté, c’est partout comme ça à NYC.
La conscience écologique que nous avons péniblement gagnée ces dernières années n’a pas encore franchi l’Atlantique, et ça se voit à l’œil nu.
Il faudrait suggérer à Greta Thunberg d’enfin accepter de prendre l’avion pour traverser l’Atlantique et passer un peu de temps à éveiller les consciences de nos cousins d’Amérique.
Pourtant, ce matin, nous voyons clairement qu’il y a urgence: nous sommes en novembre, il fait encore hyper chaud.
Les bonnets qui nous ont été distribués sont en fait totalement inutiles. C’est assez hallucinant quand on y pense.
Bon, nous sommes donc sagement rangés à quelques encablures de la ligne de départ.
L’hymne américain chanté a capella retentit alors.
Grand moment d’émotion pour beaucoup de personnes qui attendent, comme nous, depuis 3 ans, de pouvoir revivre ces moments si forts.
Après l’édition 2020 annulée, et l’édition 2021 réservée aux résidents, et à jauge limitée, nous voilà, silencieux immobiles et la main sur le cœur, à l’unisson de tous les coureurs.
Cette fois-ci, c’est bon. Tout est oublié.
Paff, énorme coup de feu, pour un énorme coup de sang dans les jambes. Il faut y aller.
Photos : Mez Photographie et particpants